Dico Sans Queue ni Tête

C COMME CYCLE

L’alphabet va de A à Z sans y revenir. Il est unique car, tout sur terre et dans l’univers est condamné à repasser au même endroit - ou pas loin -. Le cycle est le maître du jeu, il fait la loi, on n’y peut rien. Exemple : la terre tourne sur elle-même et autour du soleil qui, lui-même, fait des tours. La vie aussi n’est qu’une succession de cycles, plus ou moins grands et variés. Les saisons, les repas, les âges, les crises, les guerres, les éclipses, les modes. Tout passe et puis revient à des intervalles sinistrement prévisibles pour les mauvais et anxieusement attendus pour les meilleurs : la galette des rois, la St Valentin, les grandes vacances, la fièvre du samedi soir, le printemps, etc. J’avais essayé de lui échapper en tirant à la ligne à hue et à diable. La fatalité m’a rattrapé et m’oblige à rentrer dans le cercle du cycle. Je compose donc avec l’inévitable. Par malheur, je passais devant le cimetière. Sa porte était ouverte, sur un fossoyeur au travail.

J’en profite pour saluer ce grand métier en voie d’extinction, la mini pelleteuse visio-commandée depuis le bureau des pompes funèbres tend de plus en plus à le remplacer. Il manquera car, avec la sage-femme qui inaugurait le cycle, il était celui qui le refermait à grands coups de pelle sans se soucier des hauts faits ou méfaits du vivant de l’enterré mort.

Il faut s’y résigner et c’est dur à certains : l’homme, comme le reste est fait d’un peu de tout avec des molécules facilement disponibles et parfaitement digestibles, il en fait d’autres très pointues qui le mettent dans la forme que nous connaissons, avec quelques variantes très plaisantes. Le processus n’est pas particulier à l’espèce et il a la même efficacité chez la puce du chien, l’alouette des champs, la baleine à bosse, entre autres. Tout ce monde et le nôtre se construisent donc avec de l’oxygène, de l’hydrogène, du carbone, quelques métaux et métalloïdes, enfin beaucoup d’électrons qui s’agitent autour de noyaux au milieu d’un vide plein de trous pour faire du volume. Et puis un jour, une nuit exit l’homme, l’indispensable, l’insupportable, comme tout le reste. Il retourne à la terre, le cannibalisme ayant été abandonné et Soleil Vert pas encore nécessaire. Il se désagrège lentement au fond de la tombe ou en quatrième vitesse au crématorium. Ses belles molécules se disloquent, son eau abreuve les asticots ou part en fumée. La chaîne se dénoue et les atomes de base, à nouveau disponibles, sont prêts à reprendre du service. Ce raccourci assez terre-à-terre de la performance terrestre de la matière vivante donc, réduite à la seule odyssée de la substance organique ne choquera que ceux qui ne voient dans l’homme qu’un pur esprit encombré d’un corps soutenu par un endosquelette voué à l’arthrose et aux fractures et qu’il faut mieux oublier à son triste sort. Avec une sincérité qui rend malade, une conviction étayée sur des démentis et un courage qui ne leur fait pas craindre d’imaginer le pire du pire pour ceux qui ne croient pas à leurs illuminations invisibles, ce n’est, disent-il, que le réceptacle – sacré cependant – d’une âme surgie du néant, pour rendre honneur et gloire à un créateur de toutes les choses qui a besoin d’être remercié de ce qu’il aurait aimé pouvoir faire s’il s’en était donné les moyens.

Nous en étions restés avant cette digression - inutile mais qui fait plaisir deux fois, en le disant et en imaginant le déplaisir de ceux qui y croient - à la chair ex-souffrante abandonnée aux bons soins des microbes anaérobies spécialisés dans le dépeçage moléculaire et aux insectes nécrophages friands de viande faisandée. Les âmes sensibles auraient pu sauter ce passage, particulièrement répugnant, si j’avais eu la délicatesse de prévenir avant qu’il ne soit trop tard. Je leur présente mes excuses. Elles préféreront l’épandage des cendres, dans un geste - auguste - emprunté au semeur et qui les jettera dans le champ, le parc, le torrent, le fleuve, la mer. Quelque soit la méthode, nous voulions seulement en arriver à dire, non pas que nous sommes bien peu de chose quand on y pense ou que l’homme est poussière et retournera ou retombera - selon le traducteur - en poussière, mais que les particules élémentaires qui l’avaient fait un si beau ou si belle sont prêtes à une nouvelle aventure.

La remise en circulation devra tout au hasard. L’illustre origine n’autorise aucun passe-droit. L’eau, le sodium, le potassium, l’azote et tout le reste vont être recyclés dans un autre organisme, le plus probablement dans un lombric, espèce la plus connue dans la profondeur superficielle de la terre, lui-même risquant de finir prématurément une existence assez obscure dans l’estomac très avide d’une taupe. Celle-ci peut avoir une vie souterraine de longue durée (moyenne de 4 à 6 ans), qui peut être interrompue vers midi, heure de sa sortie, par un piège cruel qui va l’étrangler rapidement ou un renard à l’affût friand d’une chair qui lui rappelle celle du surmulot, sa pâture habituelle. Il n’est pas rare non plus que tout ou partie reste longtemps en l’état dit passif. Il enrichit le terreau de sa présence mais sans lui apporter plus que tout ce qui se décompose alentour. Avec de la chance, une racine peut s’en emparer et le remettre, après un parcours laborieux en positon dominante dans le tronc massif d’un chêne centenaire et qui n’en finit pas de croître et d’embellir pour avoir l’honneur de faire un jour une belle table, chez le Roi du meuble rustique du centre commercial près de chez vous. Plus sûrement, car ce destin grandiose est l’apanage de très rares privilégiés, quelques éléments de son ancienne splendeur seront récupérés par les radicelles d’une petite herbacée qui n’attend qu’un peu d’humidité au printemps pour s’épanouir au ras du sol. Son cycle est hélas prévisible et peu ragoûtant. L’herbe sera coupée, si son destin est d’être du gazon, elle finira dans un tas de compost. Son cycle sera rapide et il y a peu à en dire. Soit un éleveur de lapins la destine à engraisser les jeannots qu’il élève dans le clapier qui finiront en gibelotte ou à la moutarde dans les trois mois. Elle a une chance d’être bien digéré et de se retrouver réceptionné chez un amateur de cette viande domestique qui saura l’employer à bon escient. Le cycle est complet et on en terminera avec lui.

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12/06/2013
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