Dico Sans Queue ni Tête

F COMME FATIGUE

Fatigue, sous-produit du travail, sensation subjective et pénible sans rapport avec l’intensité de l’effort.

Un rien fatigue certains. J’en connais qui se fatiguent à voir travailler leur voisin, un autre s’escrime 6 jours sur 7 dans son métier de maçon, 10 heures par jour et se dit jamais fatigué.

Deux fatigues s’opposent. Celle du manuel est physique, organique, vulgaire. Elle se localise dans les muscles qui n’arrivent pas à éliminer l’acide lactique, dans les articulations dont le lubrifiant s’est épuisé à la tâche, les tendons eux-mêmes à force de se distendre n’arrivent plus à se détendre. Cet éreintage périphérique est seulement fonctionnel. Il manque de transcendance, une nuit de sommeil répare la mécanique. Cette fatigue-là ne vaut pas cher, pense le patron qui la paie au SMIC. Elle fait arriver à la retraite sur les genoux et cela explique qu’elle ne va pas loin.

Sa rivale, la fatigue intellectuelle a, elle, belle allure et mérite son meilleur traitement. Elle vient de loin car l’entraînement a duré longtemps. Des années sur les bancs des amphis, aux terrasses des cafés, sur les plages des grandes vacances, le futur fatigué a lu, discuté, raisonné, mémorisé et passé son temps à essayer de s’occuper pour préparer le moment d’appliquer tout ce qu’il est censé savoir. Vers la trentaine, les plus précoces entrent dans le monde du travail et là, le cerveau commence à fatiguer. Beaucoup même dans les premiers temps car rien ne le préparait à ce qu’il découvre :

-       il savait réciter, on lui demande de décider ;

-       il obéissait, il doit commander ;

-       il répondait aux questions, il doit en poser ;

-       il regardait, on le regarde ;

-       il écoutait, on l’écoute.

Cette fatigue-là n’est pas virtuelle. Elle a une pathologie qu’une nuit de repos ne guérit pas. C’est la dépression, le burn-out, l’ulcère de stress, l’hypertension, l’infarctus.

Cette fatigue pèse sur le moral, moteur de l’élan vital  et fait courber la tête, perdre le sommeil et traîner le pas. L’argent n’est pas un médicament efficace, ni le Prozac.

D’où vient-elle cette fatigue-là ? De loin car faire travailler le cerveau oblige à aller chercher des idées, les trouver, les assembler par des mots, des phrases qu’il faut coordonner, les exprimer en temps et lieux utiles, les faire accepter, confirmer, exécuter, vérifier que l’ordre n’a pas créé le désordre, que l’idée était bonne, l’invention marche, le client est content, l’argent rentre, etc. Si l’effort est payant, la fatigue trouve sa récompense et disparaît vite. Quand il ne l’est pas, que rien ne va comme prévu, la fatigue est sans fond. L’article n’a pas été pris, le manuscrit n’a pas été édité, l’ordre était à la baisse et le cours a monté, le contrat n’a pas été signé, l’avocat a perdu son procès, le projet n’a pas été retenu, le plan était faux, etc.

La fatigue cérébrale n’est pas une illusion et son juste prix n’est pas facile à établir. C’est sans doute pourquoi l’homme en bleu de chauffe ne dispute pas sa place et sa paye au col blanc.

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15/06/2013
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