Dico Sans Queue ni Tête

I COMME INSUPPORTABLE

« Insupportable » est une bonne métaphore de la vie. Le mot commence bien et finit mal. « Able » est une syllabe peu agréable. Elle plombe tous les mots et même incomparable, quand vous l’épelez, en dit long et ne l’est plus. Le « able », en fait, n’est acceptable car délectable qu’en râble.

Insupportable appartient à la liste interminable des mots innombrables qui dépriment : impardonnable, innommable, incommensurable, insurmontable, irresponsable, irraisonnable, irréconciliable, immuable, incurable et je passe les moins bons.

Il qualifie l’idéologue et son pléonasme le sectaire. Pacifistes, ils sont supportables dès qu’on ne les écoute pas. Ils deviennent insupportables et dangereux quand ils passent aux actes, posent des bombes, prennent des otages, font dérailler les trains, et d’une façon générale mettent le feu aux poudres.

Le sectaire radical devient rapidement l’ennemi mortel de la victime innocente qu’il s’était juré de sauver.

L’insupportable sévit dans beaucoup de régions d’une façon chronique avec des pics aigus très éprouvants et le font devenir épouvantable. Dans nos pays, même les mal logés y sont mieux lotis et l’insupportable n’y est que relatif. Il devient supportable à peu de frais. Il suffit de fermer sa porte, de mettre des doubles fenêtres, des doubles rideaux, de changer de quartier, de ville, de patron, de métier, de divorcer ou à l'extrême extrémité de partir sans laisser d’adresse. Les options sont larges. L’insupportable est, dans ces cas-là, objectif. Il est encore plus facile de s’en débarrasser quand il se réfère à une façon de parler pour juger d’un propos, d’une odeur, d’une saveur, d’un livre, d’un film, d’un discours, d’un scandale. C’est le contraste entre deux avis qui le rend tel. Et il suffit de se boucher le nez, de recracher, de quitter la salle, de fermer le livre, le poste, les yeux, de s’éloigner pour retrouver le calme, la sérénité, la tranquillité, la joie de vivre et se remettre à aimer la vie ou, et c’est le plus facile, à la supporter.

L’insupportable est une valeur individuelle qui n’engage que la personne qui se sent concernée et l’insupportable de l’un devient une friandise pour l’autre. Il n’y a que dans une démocratie parfaite que l’insupportable est tolérable dès lors que la liberté de s’en défendre est assurée.

Je voudrais détendre l’ambiance presque insupportable de cette chronique qui pourrait facilement rendre irritable le mieux disposé et surtout éviter un suicide collectif qui serait insupportable pour le fossoyeur du Père Lachaise, par quelques illustrations amusantes :

-       le politiquement correct est du vice pur pour un amateur de politiquement incorrect. Le versa est tout autant insupportable ;

-       le combattant de la première heure et, mais après réflexion, celui de la dernière heure aussi, trouve insupportables l’objecteur de conscience, le déserteur, le pacifiste et la neutralité helvétique ;

-       le zélote inconditionnel de la grandeur et de la connerie américaines ne peut supporter, sans faire une crise d’urticaire généralisée ou être pris d’un hoquet irréductible, une allusion perfide, au troisième degré, à une conception de la liberté qui leur permet d’espionner, d’emprisonner, de torturer, d’assassiner, sans procès, sans remords, sans avouer ;

-       un opposant de principe à la politique gouvernementale ne peut trouver qu’insupportable toute décision prise, même quand elle ne fait que reprendre une proposition électorale de ses amis qu’ils avaient oubliée de mettre en œuvre, une fois au pouvoir ;

-       un bien pensant trouve insupportables les propos d’un libre-penseur. Théoriquement ce dernier devrait être plus tolérant ;

-       le végétarien, non violent, ami des animaux sauvages et domestiques juge insupportable et engagerait facilement un sicaire au chômage pour débarrasser les champs et les bois du chasseur qui tue le samedi et le dimanche tout ce qui bouge, court ou vole et qui, une fois fatigué de son orgie de sang, de plumes et de poils, se proclame, le lundi matin, la mine benoîte, la main sur le cœur, caressant attendri la tête de son épagneul, défenseur de la nature et l’ami des bêtes;

-       celui qui pense que le monde court à sa perte trouve insupportable que les maternités ne désemplissent pas de pères et de mères tout fiers de savoir faire, par leurs propres moyens, à partir d’un matériel qu’aucun label ne voudrait garantir, un produit vivant, qui finira un jour, hélas !, par leur ressembler et qui devra vivre comme il pourra, entouré de centrales atomiques prêtes à péter, de raz-de-marée prêts à déferler, de tremblements de terre prêts à déraciner la tour Eiffel, dans une température infernale, vivre d’un travail au rabais avec une santé chancelante et vue sur un horizon bouché.

Pour finir dans la joie générale, je conclurai cette ode à Insupportable par un vieux dicton letton : « un supportable vaut mieux que mille insupportables ».

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18/06/2013
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