Dico Sans Queue ni Tête

I COMME INTELLIGENCE

C’est le grand + qui fait la différence et rend l’homme si content de l’être. L’intelligence lui est naturelle. Elle le distingue du robot qui marche à l’artificielle.

Quoique innée, l’intelligence s’acquiert au fil des ans et ne fait qu’embellir grâce à notre éducation nationale. La rupture avec les grands singes se ferait, disent les spécialistes, vers 3 ans. À cet âge fatidique, le chimpanzé mais aussi l’orang-outan bloquent leur capacité en instruction. Ils se réveillent, un jour, incapables d’apprendre une fable de La Fontaine, de réciter la table de multiplication la plus simple, celle des 1. Aucun, même surdoué, n’a jamais compris comment s’accordait le participe passé avec le verbe avoir (la lecture récente d’un article dans une revue savante m’a pourtant fait croire que l’un d’eux avait réussi à se faire embaucher dans l’équipe de rédaction).

Même dénaturée par des excès en tout, l’humanité progresse et peut très vite assimiler la Critique de la Raison Pure, comprendre la Théorie de la Relativité et les clauses particulières d’un contrat d’assurance-vie. 

L’intelligence supérieure est donc le propre de l’homme et, depuis relativement peu – mais, maintenant, on est sûr – de la femme. Il n’y a qu’au Vatican et dans les écoles coraniques que le doute subsiste.

Elle permet de calculer, de mesurer, de monologuer, de converser, d’écrire des lettres, des thèses, des encyclopédies, de théoriser, de diplômer. 

Elle est requise, mais à un degré moindre et dite alors « pratique », pour les cantonniers, les buralistes, les équarrisseurs, les footballeurs, les lanceurs du poids et presque toutes les forces vives de la nation.

L’intelligence du cœur existe aussi. Un Coluche, un abbé Pierre, une mère Teresa en témoignent. Elle est peu revendiquée par ceux qui en ont. Ils se taisent, trop occupés pour s’en vanter.

L’intelligence atteint sa limite de rupture avec les philosophes. Obligés de réfléchir sur ce qui dépasse l’entendement, de donner des significations à des phénomènes qui n’impressionnent pas les sens, ils combattent l’infini, l’inconnu, l’impossible, l’éternité avec des mots qui en disent long et une vaillance qui ne se décourage jamais, même pas du rien qu’ils peuvent. Si l’intelligence chez les autres est relative, les philosophes l’ont absolue. Ils sont aux hommes ce que Praxitèle est à la statuaire.

L’intelligence pose un problème. Elle saura le résoudre, un jour futur, le temps faisant, pour certains philosophes, beaucoup à l’affaire. Ils pensent – c’est leur métier – que l’homme était, à son début, peu ou pas intelligent - c’est leur droit. Avec les millénaires et de la patience, il le serait devenu, de plus en plus. Pour illustrer, on peut dire qu’il est passé du caillou dans la main au coup de poing américain ou du javelot, arme de jet de courte portée au missile de croisière lancé d’un sous-marin atomique, en plongée profonde, à trois mille kilomètres de sa cible.

L’homme d’aujourd’hui serait donc beaucoup plus intelligent que son arrière-arrière-arrière… grand-père qui officiait aux grottes de Lascaux. Cela le rend fier de n’être pas né hier et lui fait regretter de ne pas l’avoir été plus tard.

Cette vision positive, évolutive de l’intelligence humaine s’appuie sur des preuves aussi péremptoires que ceux qui les assènent, en frappant du poing sur la table (geste curieusement proche de celui dont le néanderthalien aurait été familier quand il voulait enfoncer une idée dans la tête d’un contradicteur).

Le progrès des sciences et techniques depuis l’invention de la roue en donnerait des preuves innombrables. Même Wikipedia qui travaille à la vitesse de l’électricité peine à se mettre à jour des découvertes du jour. Le grand collisionneur de particules du CERN, une cathédrale de merveilles techniques, technologiques, électroniques, électromagnétiques, informatiques dont la complexité excède les facultés d’analyse du génie moyen, entre deux pannes de courant, deux fuites de gaz, va percer, sous peu, l’ultime secret de la matière. Il illuminera la connaissance au risque – calculé par des savants ne sachant pas ce qui va se passer – de créer le trou noir qui engloutira tout. Heureusement, si le cas arrive, il ne laissera personne derrière lui pour regretter le bon vieux sale temps.

En face, ricanant, se moquant, il y a les terre-à-terre doutant de tout et surtout de l’homme, cet inconnu surévalué. Ils pensent – mais est-ce une raison pour croire ? – qu’il n’est aujourd’hui pas plus intelligent qu’il n’était hier, même plutôt moins, que le progrès n’est pas lié à l’intelligence mais procède banalement de l’esprit de l’escalier. La roue a donné la brouette qui a donné la charrette, puis la diligence, la locomotive, le TGV. La presse à emboutir dérive du marteau et tout à l’avenant, poussé par le hasard et de la nécessité. Ce n’est qu’après que l’on essaie de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi il a fallu si longtemps pour s’en rendre compte. Les exemples sont nombreux. Citons-en deux : se laver les mains avant d’ouvrir un ventre, évite bien des soucis à l’opéré ; Flemming en 1928 trouvé que des moisissures qui avaient colonisé une culture de microbes les avaient tués. L’antibiothérapie était née, même s’il a fallu bien longtemps pour en convaincre le milieu médical pourtant si intelligent. Le génie des anciens ne trouve pas d’équivalent de nos jours. Pour dresser une statue sur l’Île de Pâques, construire la pyramide de Kheops (2650 ans avant J.C.) ne fallait-il pas beaucoup plus d’intelligence que pour élever l’arche de la Défense ? Quant aux œuvres de l’esprit, le moindre traité d’Épicure ou de Sénèque, les pensées auréliennes valent tous les opuscules des Girard, Ferry, Onfray réunis. Ces pauvres philosophes perdent leur temps à courir les académies, les éditeurs, les médias, faire des ménages dans les croisières philosophales. Ces précieux ridicules n’ont pas le temps de réfléchir puisqu’ils ne font que parler.

L’intelligence a une concurrente sérieuse : la bêtise et l’ignorance qu’elle préconise. Parfois elle s’impose, s’institutionnalise, se dogmatise et pour longtemps. Renouvier, un philosophe de la fin du 19ème siècle qui savait piétiner les préjugés en fait la démonstration dans « Uchronie ». Il démontre comment une civilisation peut prendre 1000 ans de retard quand elle s’abandonne à une croyance dénuée de raison. L’intelligence prend alors de longs quartiers d’hiver et s’emploie à autres choses, à construire des cathédrales, par exemple.

L’homme est prétentieux. Son intelligence lui donne l’impression qu’il peut se le permettre. Il devrait, grâce à elle, se voir comme il est, désarmé, désemparé par tout ce qu’il fait mal, ne comprend pas. L’humilité deviendrait naturelle et la bêtise, sa part animale, acceptée car normale, logique, honorable comme le sont ses commensaux avec qui il partage la même table terrestre. Ils n’ont jamais prétendu être intelligents, eux qui n’aboient, ne rugissent, ne chantent, ne glapissent qu’en temps utile, pour dire l’essentiel et qui ensuite se taisent, attentifs aux bruits des autres, discrets, furtifs, profitant de tout mais sans rien casser. L’intelligence au final c’est quoi ? La connerie revendiquée !

 



18/03/2013
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