Dico Sans Queue ni Tête

O COMME ORDRE

Après avoir mis de l’ordre dans le désordre, je m’étais attelé à la lettre C. C’est presque ma préférée tant elle permet de variations intéressantes. J’hésitais entre plusieurs mots : confitures, confit, connerie, concupiscence, tous étant dans mes domaines de compétence, mais Ordre me fut donné et le ton était comminatoire.

Ordre ne se conjugue qu’à l’impératif. Cela fixe ses limites et donne à sa prétention force de loi. L’Ordre devenu public, se veut respectable, policé, garanti.

À l’origine, l’Ordre était divin. Une captation d’héritage par des grands prêtres affairés et malins en a fait un Ordre supérieur qui a rendu tous les autres inférieurs. Il n’y a que l’Ordre des choses qui ne revendique rien, fataliste, prenant la vie comme elle va.

Les autres n’ont pas ce sybaritisme et rivalisent dans le superlatif et l’injonction. L’Ordre ordonne et organise à son profit. Les médecins, les pharmaciens, les notaires, les avocats, les architectes s’en dotent : malheur à qui le défie. La radiation est, au civil, une  condamnation à la peine capitale : honte, déshonneur et interdiction d’exercer.

Les ordres ont toujours fait plaisir à ceux qui aiment en donner, en recevoir, y entrer. Ils ont leur hiérarchie. L’Ordre de la Légion d’honneur regarde de haut celui de la Jarretière ou un mot d’ordre du syndicat du livre, même d’art. Les Ordres professionnels malgré leur puissance ont peu de sympathie avec l’Ordre moral, redoutable corset de préceptes énergiques, évangéliques, éthiques, philosophiques, hautement proclamés, bassement abandonnés et glorieusement exprimés par des entités comme l’Opus Dei, la Scientologie, les Chevaliers Teutoniques ou le dernier des Templiers.

Le maintien de l’ordre est à l’ordre du jour de tous les commissariats des banlieues difficiles mais leur combat héroïque est d’arrière-garde. L’ordre a, en effet, des exigences qui contredisent celles des temps nouveaux. Le défi est d’autant plus difficile à relever qu’il doit compter avec son ennemi naturel : le contre-ordre. Plus dangereux que l’anarchie, la pagaille, il annule l’ordre qui vient d’être donné et le ridiculise.

Les raisons sont diverses : un changement de majorité, un remaniement ministériel, un mouvement d’humeur de la foule. L’Ordre est devenu fragile aussi par la perte de la discipline qui en faisait la force. Elle s’en est allée avec la contestation de l’autorité. Cette perte de la volonté, du courage fait que l’Ordre officiel s’est beaucoup dévalué au profit du laxisme. Les donneurs d’ordre ont oublié qu’il doit obéir à des règles simples : être bref, clairement articulé, juste et rare.

Bref : « rompez », « fuyons », « aux armes », « à l’abri », « debout », « couché », « en avant », « à mon commandement ».

Vous remarquerez que l’Ordre militaire use avec une grande sagesse de l’ordre bref.

Clairement articulé : Dans le bruit de la mitraille et toujours dans l’ambiance militaire un ordre ne doit pas être confondu avec un autre. Aussi, si vous entendez « à l’assaut » au lieu de « en arrière », le nombre de veuves et d’orphelins peut être multiplié par 100.

Juste : Si vous passez un ordre en bourse, ne confondez pas l’ordre d'achat avec un ordre de vente. Il y  va de la sécurité de vos vieux jours.

Rare : Une rafale d’ordres n’atteint jamais sa cible.

Arrêtons-nous un instant sur la trajectoire de l’ordre. Au moment où il est émis, il est solennel, gonflé de l’importance de celui qui le profère. Donner un ordre suppose en effet une position dominante et qu’il tombe sur la tête et les épaules de ceux d’en bas.

Le passage de l’un aux autres est un moment délicat, L’éjection est bruyante. Mais sitôt en liberté, l’ordre s’échappe et vit sa vie. Il est aussitôt soumis à la question : légitimité, faisabilité, intérêt. Sa destinée dépend l’idiosyncrasie de l’individu ou celle  de la société à qui il s’adresse. Dans certains pays et à certaines époques un ordre était exécuté les yeux fermés. Dans d’autres, au contraire, les ordres fusent mais personne n’y prête attention.

Aussi solennel qu’il soit, un Ordre ne fera pas tomber la pluie ni marcher un paralysé. Il faut donc en user en lieu et temps utiles et dans un but précis, accessible et bénéfique. L’Ordre est, comme la loi, son partenaire, un mot à utiliser avec discernement, à ne mettre à la disposition que de ceux et celles qui en connaissent les règles, qui savent que l’excès d’Ordre peut être le début de sa fin.

Les grands mots d’ordre, aussi gonflés d’importance qu’ils soient, paraissent bien minuscules quand l’Ordre naturel se réveille et que son bras armé, la force des choses se manifeste : tsunamis, cyclones, chocs tectoniques, météorites, inondations, avalanches, folie humaine. Irrésistible, sourd, muet, aveugle, ne respectant rien, il est comme tous les Ordres, monstrueux quand il ne se ne contrôle pas.

__________



18/04/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour