Dico Sans Queue ni Tête

P COMME PEUR, dernier épisode

Le timide ne fait pas dans la demi-mesure. Si ce n’est pas le physique qui le tracasse, il peut trouver dans le mental, l’intelligence, l’esprit d’à-propos, de repartie, des bonnes raisons de se cacher, de se taire, de fuir les conversations, les occasions de s’exprimer. Il, elle, se sentent incapables de plaisanter, de repartir, de dialoguer : manque d’idées, d’opinion, de culture, de mots. La fuite, le silence, la solitude sont des refuges où l’on se sent mieux, sans obligation de s’éprouver.

Comme le timide doit savoir ce qu’il est pour ne plus l’être, je le lui dis comme je le sais : il est naïf, innocent, inconscient et, en même temps - voyez comme il a une riche nature - orgueilleux, prétentieux, égoïste, nombriliste, narcissique. Il se croit le héros du spectacle que serait sa vie et voit dans les autres des spectateurs occupés à le juger, le jauger, l’évaluer, le critiquer, s’en moquer, lui si laid, si petit, etc.

Se croire dans le collimateur est une illusion dont le timide ne se relève pas. Il a acquis cette prétention à force de se regarder et de se trouver différent, le mouton noir du blanc troupeau. S’il a une différence, il se focalisera dessus, d’un détail, il fait une montagne ; il en est écrasé et se convainc qu’elle est si énorme que l’on ne voit qu’elle.

Cette mauvaise estimation des regards aggrave son erreur. L’opinion qu’il a des autres est aussi fausse que celle qu’il a de lui. Il voit chez eux tout ce qu’il n’a pas. Ils méritent de se montrer, de s’exhiber, de parader, de danser, de chanter, de parler fort, d’interpeller sans peur car ils sont d’une autre essence, ont des qualités qu’il n’a pas. Chacun tient sa place.

Le timide se croit mis en observation par un jury qui lui reproche de ne pas être celui qu’il aurait voulu être, plus beau, plus intelligent, plus aimable, etc. ou de ne pas ressembler à l’image idéale. Il les investit de ce pouvoir inouï et se charge de rendre une sentence la plus sévère possible puisqu’il s’exclut de la comédie.

La guérison de cette dépréciation presque délirante de soi-même et de cette appréciation tout aussi exagérée des autres, passe par la prise de conscience que la perception est erronée. Il faut remettre en perspective et relativiser les disgrâces supposées. Elles introduisent une originalité qui a fait le succès de beaucoup, comédiens ou non. Le bistouri peut cependant être une aide formidable pour faire sauter une fixation obsédante. La transformation mentale peut être étonnante et, chose curieuse, l’opéré est le plus souvent le seul à s’apercevoir du changement dans le profil.

Ce constat et bien d’autres devraient le persuader que personne, en réalité, ne le regarde car la dynamique sociale est à base d’indifférence et d’oubli. Chacun est préoccupé de son monde intérieur. Les empathiques sont minoritaires. Ils existent, heureusement et le timide n’a rien à craindre d’eux et tout à en espérer. Ils feront pour lui ce qui aurait dû être fait dans l’enfance, dans l’adolescence, quand on se construit, que l’on grandit, que l’on cherche sa place et qu’on ne la trouve pas. Les parents qui comprennent sont rares. Un enfant timide fait moins de bruit, se discipline tout seul, conteste moins. Un timide c’est tout bon pour la tranquillité du foyer.

L’apparence physique a d’autant moins d’importance que la personne dans la foule ou en petite compagnie n’est vue par personne, l’homonymie n’est pas innocente. L’anonymat est synonyme d’invisibilité. Tout le monde se ressemble pour le regard qui balaie sans fixer, dévisage sans voir. Le timide, dans sa famille, à l’école, à la fac, au bureau, à l’usine, est une figure dans le paysage, une silhouette, c’est sa fonction qui intéresse. On ne lui demande que ça. Il doit apprendre à s’en contenter, lui, le centre du monde. Il peut pourtant se croire piégé. On l’a identifié, on le dévisage, le petit bouton au bout du nez, a l’éclat de la lanterne du phare des Baleines. Il est trop tard pour se sauver. Que faire ? Il va être jugé sur ce qu’il dit et ce qu’il est. Double raison de paniquer, de bredouiller.

Il faut remettre tout ce monde à la vraie place et à niveau. Ils n’ont rien qu’il n’a pas, hormis la timidité. C’est elle qui fait tout apprécier de travers. Pas de quoi être jaloux, quoique si l’on y réfléchit, cela traduit une capacité que les autres n’ont pas, l’autocritique qui, jusqu’à son point de retour est une saine habitude. Il doit prendre sur lui de regarder les autres, de les dévisager à son tour, tranquillement, en respirant doucement, de les observer, d’écouter ce qu’ils disent et de se demander : sont-ils meilleurs que moi ? plus beaux ? ce que je pense est-il moins pertinent que ce qu’ils disent ? Ce bavardage prétentieux, ces idées reçues, ce rabâchage, les plaisanteries éculées, les verrues, les bidons, les adiposités, la couperose, tout cela mérite-t-il que j’envie ?

L’exercice est souverain. Progressivement la tension va diminuer, les voisins changeront de statut, vous voyant moins distant, vous leur serez plus sympa. Vous trouverez à dire ce que vous disiez tout bas dans votre secret bien gardé. Ce travail de reconquête de l’espace a un outil dont il faut se servir après l’avoir développé : l’esprit critique. Longtemps confiné à l’usage interne où il était très performant, il faut l’utiliser en externe. Ce n’est ni un péché ni un crime, mais un exercice salutaire. Il permet de se forger une opinion, de croiser des avis, de confronter des points de vue, de choisir, de ne pas se laisser imposer. L’esprit critique est une mesure de sauvegarde qui permet de mettre la bonne distance avec les idées, les gens et les choses. Cela évite d’approuver le dernier à parler, de signer un chèque en blanc, de voter pour un beau parleur et au timide de sortir de sa coquille, de regarder la réalité, de comparer, de mesurer, de se mesurer. L’exercice est indolore, amusant, instructif. On s’aperçoit que l’intelligence si supérieure ne l‘est pas plus que ça, que la beauté est vide, que le bancal peut-être plus séduisant et plaire plus et mieux que l’éphèbe.

En cessant de surévaluer et de se ravaler, par un effet de balançoire les bonnes raisons qu’avait le timide de se cacher, de rougir vont lui apparaître moins évidentes. La confiance va naître, progresser, la peur s’atténuer, s’en aller et la délivrance est une résurrection. Le but est atteint quand on regarde sans peur être regardé, de parler sans s’interroger si ce qu’on dit en vaut la peine, de s’installer au premier rang des fauteuils, à l’orchestre.

La peur du timide est une peur acquise (1). Comme telle elle est curable. Elles sont venues, elles sont parties comme celle :

-       du dompteur apprend à entrer dans la cage aux lions ;

-       du trapéziste à se lancer dans le vide ;

-       du parachutiste à retarder l’ouverture ;

-       de l’orateur à parler en public ;

-       du comédien à entrer en scène ;

-       du chirurgien à ouvrir le cœur ;

-       du plongeur à plonger de haut.

La peur s’apprivoise, se domine et finit par disparaître (2). On a, en soi, assez d’armes pour s’en débarrasser et on doit comprendre que l’on n’a pas à être son propre bourreau. La peur du timide est un supplice qu’il s’inflige, sans besoin. Il doit prendre sa peur à son propre jeu, en faire un stimulant, la retourner, la réduire à ce qu’elle est : un fantasme, un fantôme qui n’attend pour disparaître que l’on ouvre les yeux.

                                               

Notes.

(1) - Que la timidité soit acquise est prouvé par l’examen des deux extrémités de la vie. A la naissance et dans la première enfance, le bébé, le nourrisson puis le petit enfant peut être calme parfois mais jamais timide. Aucune peur chez lui de se faire remarquer. Il tonitrue, glapit, vocifère à tue-tête pour réclamer qui la tétine, qui le téton. Il n’a de cesse de se faire remarquer, dorloter, pouponner. Il empêche le quartier de dormir par ses hurlements matutinaux. J’ai entendu des parents indignes « vivement qu’il devienne timide ce bébé hurleur et qu’on ne l’entende plus ».

Ailleurs, j’ai interrogé une cohorte de centenaires encore en possession de leurs moyens. Je les interrogeais sous sérum de vérité, assis sur un détecteur de mensonges et leur posais la question piège : « Êtes-vous timide ? » Sur 100 questionnements : 100 négatifs. Intrigué, je poussais l’inquisition à son tréfonds : « Étiez-vous timide dans votre jeunesse ? ». Et là, banco ! 10,3% étaient des timides de moyen à léger, 3% étaient des grands timides. Corroboration parfaite des statistiques déjà données. Et je poursuivis, impitoyable : « quand avez-vous perdu votre timidité » ? La date de sa disparition se perd dans un lointain effacé du disque dur de la mémoire. Certaines (c’étaient toutes des gérontes féminines) disaient pour me faire plaisir : 40, 50 ans et pour 3 : 65 ans. Les chiffres sont à prendre avec la plus grande réserve. Quant à moi, je les leur laissais sans aucune précaution car elles étaient toutes contentes d’évoquer leur lointaine jeunesse fofolle. L’une d’elles, assez espiègle, me prit à part et m’avertit : « J’ai la mémoire qui flanche, il faut m’excuser vous me demanderiez l’heure qu’il était il y a 5 minutes, je ne saurais vous le dire car je retarde… »

(2) - La timidité, quand elle est transformée en refuge, en alibi, peut donner des satisfactions au timide. Elle devient une excuse pour ne pas en faire plus. Le timide se cache derrière elle pour s’excuser et s’éviter l’effort de la combattre. Le piège est mortel.

 

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25/05/2013
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