Dico Sans Queue ni Tête

T COMME TROU

Depuis la disparition du poinçonneur des Lilas, il n’y a que les trous de Gruyère, du nez et de la passoire qui aient ma sympathie, car tellement utiles. Notre quotidien et même son avenir sont, en effet, bouchés par des trous qui nous cernent de toutes parts. Je vous le dis comme je le pense : il faut se méfier du trou en général – à l’exception des trous particuliers ci-dessus – car c’est du vide entouré de plein qui devient facilement de trop et la peur du vide devrait logiquement entraîner celle du trou.

Ma démonstration vous ayant convaincu, je peux aborder le vif du trou. Lui et les autres sont de plus en plus nombreux et deviennent pressants. On ne parle que d’eux car ils sont menaçants, ces salauds.

Il y a d’abord le marronnier vedette. Il fleurit en toutes saisons, c’est le trou primordial : celui de la Sécurité Sociale. Que dis-je, ce n’est pas un trou mais un puits sans fond, un aven, un gouffre, un abysse. Il se creuse même quand on le remplit. On en reparlera longtemps.

Le trou de la couche d’ozone est une affaire autrement sérieuse que le trou des Halles. Plusieurs coupables sont soupçonnés avec des preuves à l’appui contestées par plusieurs faux témoins. Le temps presse. On voit mal comment on pourra le fermer. Mieux vaut passer à l’autre trou infernal : le noir.

Il ne s’agit pas du continent du même adjectif de couleur. Il continue de s’y enfoncer inexorablement mais le problème est géopolitique et dépasse la compétence du lieu. Je me bornerai à vous entretenir non pas du trou noir que creusera peut-être le grand accélérateur du CERN dès qu’il sera réparé mais surtout de son lointain cousin qui, à des années lumière de chez nous, absorbe, plus gourmand que gourmet, tout ce qui se laisse attirer par son néant frénétique. N’en sachant pas plus que vous sur ce trou, je le referme.  

Les trous de mémoire sont gênants mais souvent utiles en temps de crise. Ne plus se rappeler les erreurs anciennes qui ont préparé la catastrophe en train de s’installer permet aux responsables de s’exonérer de toutes leurs responsabilités et de travailler avec la même probable efficacité à leurs futurs exploits. Pour tous les grands (criminels, escrocs, voleurs, menteurs, politiciens, etc.), le trou de mémoire agrandi aux dimensions de l’amnésie pure et dure est une obligation professionnelle permettant de recréer en permanence l’état de nature cher à Rousseau et de sévir, en toute inconscience, dans la suite des temps.

Je terminerai par le trou normand. Convivial, euphorisant, il prépare au mieux. Entracte appétant, il relance l’appétit. Les natifs en savent plus mais leur silence m’autorise. J’en pense aussi grand bien que de ceux que je vantais au premier paragraphe. D’abord par principe car les intermèdes, les entremets, les entrechats, les entre-deux, les pauses chocolat-macarons sont toujours des instants bienvenus qui renversent la vapeur, font repartir du bon pied.

Le trou normand interrompt le banquet au bon moment : les esprits s’échauffaient, un laisser-aller s’installait, les grossiers personnages devenaient encore plus grossiers, les délicates s’offusquaient, les mères éloignaient les bambins, les vierges s’effarouchaient, le brouhaha présageait un branle-bas. Heureusement c’est la minute du trou normand, un rayon de soleil, la bénédiction papale, l’appel du grand muezzin. Le silence se fait, le calme revient, seul un normand, qui a connu l’invasion des vikings pouvait inventer ce moment de paix : une libation solide, généralement un sorbet au calva mais qui réussit bien au champagne, seule façon de le boire à la petite cuillère.

Enterrons les mauvais trous, n’en parlons plus, oublions-les, trop nihilistes, dépressifs, pessimistes. Célébrons les bons trous, ils font plaisir, sont utiles et savent chasser la peur, eux qui comblent le vide.

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01/11/2013
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