Dico Sans Queue ni Tête

V COMME VOCATION

La vocation est, à son arrivée, une idée simple, reçue en toute bonne foi qui s’impose avec force et devient très vite une idée fixe. À ce stade, elle dérange ceux qui ont de la suite dans les idées. La victime, consentante, en subit les conséquences pendant longtemps. Une remarque : si la vocation peut surprendre, elle est rarement originale, avec les exceptions d’usage.

Sujet d’expectative pour le philosophe, elle l’oblige à s’interroger, avec gravité et profondeur, sur la compatibilité du libre arbitre avec la vocation qui a quelques similitudes avec la prédestination. L’intrusion d’une pensée dominante qui veut se faire obéir a un caractère obligatoire qui contredit la liberté - qui serait, avec l’aide de la raison - une des propriétés de l’homo sapiens. La lumière nous viendra certainement d’un esprit éclairé.

Le psychiatre de service médicalise la vocation avec une autorité difficile à contester. Elle a un caractère obsessionnel indéniable et envahit le champ de la conscience au point de ne pas laisser beaucoup de place pour le reste. La vocation est - pour lui - une névrose plus ou moins grave. Dans les cas où elle affecte le comportement de l’impétrant, il peut être nécessaire de recourir à une psychothérapie interventionnelle de qualité mais aux résultats, comme toujours, aléatoires car soumise à trop d’impondérables qui tiennent, pour l’essentiel, à la méconnaissance complète de l’origine du mécanisme qui transforme une idée simple en idée forte, puis fixe.

Avant de pousser plus loin, il me faut évoquer la vocation contrariée. Une seule est connue : parents abusifs ou responsables, impossibilité physique (typiquement le muet qui se veut chanteur d’opéra ou l’amputé des deux bras qui se voyait bien s’entendre jouer au piano). Fréquente, passée sous silence, celle à laquelle je veux vous intéresser atteint de riches personnalités qui ont une vocation bien établie, charpentée à l’ancienne mais en butte à une qualité majeure : l’esprit de contradiction avec son mentor armé, l’autocritique. Le cocktail est toxique, car ces deux entités se livrent un combat in petto et acharné à la vocation. Il faut être très observateur pour deviner le duel intérieur. Si vous regardez bien, vous observerez des individus marmonnant, agitant les bras, regardant fixement, à droite puis à gauche, marchant, s’arrêtant. Ils ne sont pas fous. Ils soliloquent sur la vocation, aux prises avec une critique qui veut la contredire et l’annuler.

Un sujet atteint de vocation peut être envié quand elle le conduit à choisir un métier prestigieux, difficile. Pour la satisfaire, il n’épargnera aucun effort, la vocation étant un moteur surpuissant qui se joue des obstacles. On a vu des paresseux de première grandeur n’ayant jamais rien voulu apprendre, ni faire, devenir, du jour où la vocation les a saisis, des bêtes de travail jamais fatiguées.

Le pouvoir de la vocation est immense, elle a un effet dopant qui donne, au final, un avantage décisif.

La vocation est chevillée au corps. Cela la distingue des fausses. Ce sont les velléitaires, les indécis et surtout les mythomanes qui aiment les afficher pour épater la galerie : « moi je serai : gardien de phare, de but, pompier, ministre, pape, président, chef d’orchestre, etc., » Ils sont facilement démasqués : ils alternent et varient d’un jour à l’autre. Les vraies vocations sont à sens unique, invariables, irréductibles.

Nous allons maintenant commettre quelques commentaires sur la vocation, afin d’en mieux délimiter les contours. En règle générale, la vocation a une bonne réputation. Elle est considérée avec sympathie parce que le bénéficiaire, heureux ou malheureux, n’en paraît pas responsable. Elle apparaît comme un fait exprès qui ne le serait pas, mais qu’il faut assumer, que cela plaise ou pas. L’origine reste mystérieuse. Les plus imaginatifs inventent des entités n’appartenant à aucun système connu mais douées de persuasion et qui auraient donné des ordres pour régler la vie des hommes à leur façon et pour leur faire honneur. Les victimes de ce type de vocation parlent d’appel auquel il leur est très difficile de résister. Impérieux, venant nécessairement d’un pouvoir pour le moins impérial, il supporte mal l’indiscipline. Un ami psychiatre y voit une espèce achevée d’hallucination à forme délirante bien structurée comme toute psychose qui se respecte. Je lui laisse la responsabilité de ce propos excessif. Il traduit surtout un esprit mécaniste imperméable à la poésie des espaces inconnus et imprégné d’un scientisme trop réducteur pour être catholique, si vous voulez mon avis. Je le compléterai - avec votre autorisation - en voyant plutôt dans la vocation le résultat de messages subliminaux envoyés :

-       par la prestance du commandant de bord qui, fièrement, galonné de partout, le regard viril, entouré d’une escadrille d’hôtesses à l’air déluré, arpente le hall de l’aéroport d’un air martial avant de partir à la conquête des airs ;

-       par l’envie de faire démarrer le TGV à la seconde près, qui n’est que l’ambition secrète de devenir l’homme qui commande à la machine, sait se faire obéir d’une flopée d’incapables et tient sous sa dépendance et son bon plaisir les rendez-vous urgents de tous les voyageurs qui ne le regardent pas et connaîtront bientôt son importance ;

-       par le besoin de servir l’église, qui n’est que le retour d’investissement d’une multinationale multiséculaire dont la vocation est de susciter des vocations pour entretenir la dévotion qui lui permet de continuer d’exister ;

-       etc.

Sans craindre davantage le démenti, je peux dire qu’il y a autant de vocations que de variétés de roses, foi de botaniste. Comme chaque fois que je le peux, consacrons quelques minutes à en décrire deux ou trois, façon Illustration :

-       A 30 ou 40 jets de pierre de mon chez moi il y a un agriculteur qui l’est devenu la trentaine passé, après une brillante carrière dans la finance. Ayant ressenti l’appel de la terre, après une lecture du « Blé se lève » et une visite à Jardiland il a quitté ses souliers vernis, ses lustrines, son complet veston de Fabio Lucci et un 4x4 BMW pour une paire de sabots, un McCormick de 650 Cv, 200 Holstein, 300 hectares de maïs, blé, avoine et luzerne et une moissonneuse batteuse-ensileuse-débroussailleuse-herseuse et, au moment propice, semeuse. Sautant d’un pis à l’épi, il assouvit sa vocation, heureux, épanoui et ravi. Il s’inquiète bien un peu, le soir à la veillée, de la baisse du blé, du maïs, du lait, de la viande, de la hausse des engrais, des fertilisants, des herbicides, des pesticides, des charges, des taxes, de la fièvre aphteuse, de la peste porcine, de la concurrence polonaise, de la fragilité du matériel, de la difficulté de trouver du personnel, de rembourser le Crédit Agricole, de s’occuper de ses 4 enfants et de la mairie du village qui se meurt.

-       La vocation de mère de famille est plus fréquente que le retour au cul des vaches comme disent avec leur rude et cru parler nos paysans. Elle est souvent atavique, reçue en héritage de la lignée féminine. Elle est renforcée chez la jeune fille par une expérience acquise à la maternelle, puis au jardin d’enfants, renforcée par le maternage de nombreuses poupées et édifiée par l’exemple admirable de sa mère qui aurait tant aimé avoir au moins deux enfants. Elle souhaite donc devenir mère de famille nombreuse, au risque de sa vie et pouvoir ainsi se sacrifier nuit et jour, 24 heures sur 24, pour le reste de sa vie, à une bande d’énergumènes qui lui en voudront toujours de les avoir mis dans un pétrin dont ils se seraient bien passés. Le seul obstacle à cette vocation incoercible est l’obligation de trouver un géniteur si possible compatible socialement, religieusement, politiquement et lui aussi irresponsable. Cette difficulté n’en est plus une, car la mère de famille nombreuse peut l’être tout en restant célibataire, l’implantation in utero d’ovules fécondés faisant partie de la médecine de confort accessible à toutes.

-       Les vocations humanitaires, à l’instar de la précédente, ont toujours attiré les âmes ayant le sens du devoir altruiste, le besoin du don de soi, l’abnégation rivée au corps. La jeunesse y trouvait - et trouve encore, soyons juste et témoin de notre temps en toute impartialité - des occasions de s’exalter et de s’épanouir. Nous citerons, dans le désordre, l’infirmier ou l’infirmière, l’hôtesse et le steward (air-terre-mer), le chirurgien du cœur et du cerveau (la tripaille, les bas morceaux, les os suscitent moins de vocations et le manque commence à se faire sentir). Et la médecine, me direz-vous, quelle mine de vocations pures et dures ! Hélas, ce n’est plus vrai et cette absence crée la désolation dans les campagnes même pas reculées. Il y a pénurie. La faute en serait à la pénibilité, à des tarifs SS dissuasifs, aux guérisseurs, aux rebouteux, à l’automédication, au concours d’entrée qui élimine les littéraires, les seuls qui abordent la médecine sans calculette. La véritable raison est la disparition des Slaughter, des Maxence Van Der Meersch, des Cronin, des Soubiran. Voilà des auteurs qui savaient créer une vocation. Après avoir lu « Corps et âmes », « Afin que nul ne meure », « Les hommes en blanc », comment n’avoir pas l’envie irrésistible de devenir médecin au plus tôt et, si possible, là où personne ne veut aller, pour sauver de la toxicose, de l’appendicite aiguë et du Croup infâme des populations déshéritées et si méritantes. Aujourd’hui, et avec un talent tout aussi magistral, après avoir lu Winckler, Sénanque, de Funès (Patrick et son génial « Médecin malgré moi »), le plus décidé n’a qu’une envie : devenir vétérinaire, notaire, gardien d’immeuble, jongleur, député mais surtout pas médecin. Donc, la vocation de médecin est à mettre au passé et la nouvelle et avant dernière réforme avant la prochaine ne pourra qu’aggraver une situation déjà bien malade.

-       La même désaffection frappe l’autre sainte vocation : la sacerdotale. Toute dévouée au sauvetage des âmes, elle se meurt elle aussi. L’origine de ce tarissement qui menace à échéance moyenne de se transformer en extinction a des explications confuses qui cherchent à ignorer la principale : la société a changé, aujourd’hui les promesses ne suffisent plus, les beaux discours comme les sermons sont jugés aux résultats, sur pièces. Un maître qui se cache, fait le sourd, est aveugle et se désintéresse de son investissement finit par disparaître de la conscience de ses serviteurs. Ils s’en détournent, vont en chercher ailleurs.

Grande ou petite, aiguë ou chronique, difficile de ne pas avoir la vocation. C’est même une chose tellement répandue qu’on n’en sait rien tout en étant atteint. Par contraste, il est amusant d’imaginer un individu sans vocation.

Le néant vocationnel est difficile à imaginer tant il vide l’homme de toute sa substance. Le portrait robot est celui d’un zombi avançant dans la vie mécaniquement sans envie, sans désir, sans idée, sans pensée. Ses besoins lui seraient dictés par l’estomac, la publicité, le qu’en dira-t-on, les programmes, les slogans. La vérité serait la dernière entendue, la solution celle de l’expert invité, la beauté étalonnée par l’avis du critique patenté. Heureusement, cette humanité n’existe pas, une petite vocation ou deux arrive toujours à se glisser dans l’esprit le plus borné, le mieux conditionné. Il s’autorise de temps en temps une incartade, une folie, une transgression : un 100 à l’heure en rase campagne, une 2ème coupe de champagne, un 3ème chocolat, une infidélité au journal de 20 heures, une petite pensée bien obscène, bien raciste, une menace de vote à l’extrême droite à la prochaine élection, pour l’exemple.

Effaçons vite ce cauchemar qui mérite l’avertissement : toute ressemblance avec un personnage réel serait fortuite et non avenue. Au contraire, dans la réalité, on est submergés par les vocations. En vrac, je vous livre celles que j’ai rencontrées la semaine dernière et qui, souvent, sont appariées :

-       une végétarienne et un fana du potager ;

-       une boulangère et un pâtissier ;

-       une éleveuse de poulains avec un boucher chevalin ;

-       un astronome et une astrologue ;

-       un carabin avec une carabine ;

-       une maîtresse de maison avec son maître d’hôtel ;

-       un homme d‘attaque avec un chien mordant.

J’ai même présenté des condoléances à une veuve non éplorée qui avait eu la bonne idée d’épouser un suicidaire.

Une précision : la vocation doit être distinguée de l’acte de foi qui, lui, dure un court instant. Il peut donc être oublié de suite.

La vocation est inoxydable et on ne peut s’en débarrasser, c’est la théorie officielle. Dans la réalité, elle subit la loi commune et, à l’usage, s’use, se déprécie et finit par fondre comme tous les coups : foudre, tonnerre, éclat et sort. Elle suppose, comme eux, une tension impossible à maintenir. Quand la satiété, l’habitude, la pesanteur et, surtout, sa grande ennemie la tentation approchent, elle s’effiloche et le charme disparaît. Faire autre chose, voir d’autres gens et d’autres envies font leur entrée. Ces vocations qui sombrent dans la routine, qui se sont épuisées avec le temps ne font pas le bonheur de ceux qui doivent en vivre la fin. Saluons donc les vocations impérissables, qui restent aussi ardentes qu’au premier jour, qui ont rempli la vie sans laisser de temps mort.

La vocation est un sujet qui pousse à la logorrhée et il faut pourtant conclure : la vocation est une autosuggestion camouflée sous de grands airs et qui ne résiste pas longtemps à une bonne autocritique qui ne s’en laisse pas compter par des arguments qui apparaissent vite n’être que des arguties. Restons vigilants et n’acceptons que les bonnes vocations qui apprennent à aimer la vie et la faire aimer, à en tirer le suc tout en gardant une distance de sécurité.

Donc, la vocation c’est bien, mais à condition d’y regarder à deux fois et, attention, elle peut en cacher une autre !

 



24/03/2013
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