Dico Sans Queue ni Tête

C COMME CAPITAL

Capital : somme rondelette acquise par chance, par dot, par héritage, par le jeu, le travail. Une fois acquis, l’heureux propriétaire en fait ce qu’il veut. Il l’enterre, le met en banque, le distribue ou le dépense. Plusieurs manières sont disponibles. La plus simple est de déguster le capital par petites bouchées, d’en faire un plat de résistance qui permettra de vivre au jour le jour, sans se fatiguer ni se soucier du lendemain. La méthode est décriée par les héritiers qui n’y trouvent pas leur compte, dépité de ne rien recevoir de l’aïeul égoïste ; c’est une dilapidation aussi pour les observateurs jaloux de ne pouvoir en faire autant, une destruction de valeurs au bénéfice d’un seul pour ceux qui pensent au bonheur de la société avant celui du propriétaire.

Faire du capital une source de revenus relève d’une autre philosophie. Dite patrimoniale, elle a ses partisans. Ils veulent, pour lui donner la plénitude de son rendement et de son rayonnement, une société libérale, voire ultralibérale pour les plus fanatiques. Le capital devient veau d’or et se laisse adorer. Il a eu des siècles de gloire. C’était l’époque bénie où la société se divisait harmonieusement en deux. Il y avait, d’un côté, les maîtres. Ils vivaient dans des châteaux, possédaient tout et vivaient bien, vêtus de brocard, couchant dans la soie, couverts d’or, d’argent de pierres précieuses et ripaillant entourés de ribaudes. A côté, innombrables, peinant, suant, mourant dans la misère, le froid, les masures, la saleté, l’ignorance, il y avait la plèbe, de la couleur de la glèbe qu’elle travaillait pour ceux d’en haut. Entre les deux, les passeurs, des intermédiaires entre ciel et terre, missionnés pour expliquer, de façon claire, imagée, colorée, que les riches étaient bien à plaindre car, jamais, ils ne pourraient entrer dans le royaume des cieux, un paradis exclusivement réservé aux pauvres, aux simples, aux damnés de la terre et pour l’éternité. Les ventres pleins mériteront, eux, l’enfer, un endroit encore plus abominable que n’était la terre pour eux, les pauvres laboureurs. Pour étayer leur dire, ils n’étaient pas en peine de preuves irréfutables, tirées d'évangiles moins apocryphes que d’autres et prouvées par des miracles certifiés, reconnus par des témoins de troisième ou quatrième génération dont la bonne foi était digne de croyance. Ces intermédiaires prélevaient leur pourcentage et n’étaient habituellement pas à plaindre. Ils ont laissé de leur art de vivre quelques témoignages édifiants et qui défient avec bonheur et honneur les siècles. En contrepartie, les seigneurs avaient des obligations : éradiquer les hérétiques, partir en croisade. En dehors de St Louis qui eut du mérite, sous l’influence de sa gentille maman, Blanche de Castille, seul Henri IV se soucia du peuple, allant jusqu’à préconiser la poule au pot pour le souper du dimanche.

Ce partage équitable du capital terrestre dura longtemps et ne fut remis en question que dans la nuit d’un certain 4 août où l’abolition des privilèges créa quelques tourments aux capitalistes aveugles, sourds et muets aux supplications du bas clergé qui essayait de les effrayer par des prédications alarmistes sur leur outre-tombe, sans trop insister cependant, à la demande de la hiérarchie, les grâces d’État ayant été spécialement créées à leur intention.

Il fallut attendre la fin de quelques empires, de quelques restaurations pour que le scandale du capital éclate. Comme beaucoup d’autres, ce fut à la fin du 19ème siècle et du fait d’un certain Marx. Il en dénonça la malignité et jeta l’opprobre. Sa condamnation enthousiasma tous ceux qui n’avaient pas de grosses économies. Dépourvus de la patience des anciens, ne croyant plus aux racontars des hommes en noir, ils voulaient le fruit de leur travail maintenant et même tout de suite. Et ils étaient nombreux, tous ces pauvres exploités qui ne voulaient plus engraisser un capital qui ne leur rapportait rien, minotaure avide de leur sueur et de leur sang. En réalité, ils combattaient le Grand Capital et n’avaient rien à redire contre le petit qu’ils accumulaient eux-mêmes dans un bas de laine, péniblement, pour un coup dur, un cadeau.

Les anticapitalistes avaient déclaré la guerre. Elle dure depuis plus de 100 ans et on n’en voit pas la fin. Les combattants de la première heure ont, depuis longtemps, disparu. Leurs héritiers se sont parfois convertis et comme toutes les vocations tardives, ils sont encore plus terribles que les nantis d’antan. Des réfractaires résistent pour l’honneur. En fait, le Capital a maintenant peur de lui-même car il vient d’apprendre qu’il est plein de trous sans fond et de bulles explosives.

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07/12/2013
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