Dico Sans Queue ni Tête

E COMME ÉCOLE

D’abord primaire, on y enseigne les arts premiers : l’alphabet, la grammaire, le vocabulaire ; les papa, maman, pipi, caca, dodo de la maternelle ne pouvant satisfaire les besoins croissants du consommateur exigeant qui succède au monomaniaque du régime lacté de la première enfance.

L’École devient rapidement secondaire car la croissance du (de la) petit(e) terrien(ne) est rapide. Les uns aiment bien et en profitent. D’autres font une crise de rejet. Pour les plus malchanceux, c’est l’École de la Rue. Los gamines de Bogota et d’ailleurs en sont les pauvres écoliers, n’y apprennent rien de bon, trop occupés à éviter le pire, sans jamais y réussir. Il n’y a pas d’eau miraculeuse dans les caniveaux des grandes villes sauvages.

L’École tertiaire succède (le terme d’enseignement supérieur est préféré ; un moyen dérisoire de conjurer le sort et d’éviter les bouleversements climatiques et géologiques inhérents à cette ère). La tentative est vaine. Certains s’en sortent si l’itinéraire a été bien choisi, les guides de qualité. Les bacheliers aux options porteuses intègrent les grandes Écoles. Sélectives, élitistes, les conditions d’admission sont sévères. La mémoire est la vertu cardinale. Elle doit être grandiose, infatigable, insatiable. 300 Giga-octets est le minimum recommandé. Elle permet le stockage d’une masse de données inutiles utilisées le seul jour du concours d’entrée. L’autre exigence est la bosse des mathématiques, une tumeur extrêmement dangereuse qui fait prendre les vessies pour des lanternes. Polytechnique, Centrale, les Mines, HEC, Normale Sup, Ponts et Chaussées servent ainsi de couveuses à quelques centaines de têtes d’œuf.

Si la mémoire a quelques trous, l’hérédité peut être secourable, le milieu étant colonisé de dynasties qui renouent heureusement avec la tradition de la féodalité.

Ces tours d’ivoire débouchent sur la direction d’holdings, les conseils d’administration du CAC 40. Ces industrieux pullulent dans les cabinets ministériels s’ils sortent de l’ENA et sont passés par l’Inspection des finances. Ils y prennent leur envol ou s’en font des fosses d’aisance. Ils se retrouvent plus tard chez LVMH, au Jockey Club, au dîner du Siècle, à la Société générale, à Davos, dans une suite étoilée du Plazza, en fuite aux Îles vierges ou dans une cellule VIP de la Santé.

Les grandes Écoles sont interdites à ceux qui, quoique pleins de bon sens, d’imagination, de créativité, d’humanité, de lettres majuscules peinent à retenir leur numéro de portable ou repassent trois fois l’épreuve théorique du permis de conduire, faute de se rappeler la signification du panneau Stop. Ceux-là sont convoqués à l’École de la Vie. Tout n’est pas perdu. Elle peut être bienveillante et ils vont entrer dans une École de Commerce pour devenir de redoutables vendeurs, d’irrésistibles démarcheurs, des experts en tout genre. L’École de Musique accueillera les futurs Mozart ; l’École des Beaux-arts fournira les Renoir et Rodin de demain : l’École des Arts et Métiers est une pépinière d’ingénieurs très prisés ; l’École Boule façonne des ébénistes de belle facture ; les Écoles dentaires, vétérinaires, de médecine, d’infirmières, de sages-femmes délivreront tout ce dont la société a besoin pour vivre et survivre. L’École de Guerre, l’École Navale, les Écoles d’Officier et de Sous-officiers nous rappellent que certains apprennent même à donner du sang pour la défense de la patrie.

Il nous faut maintenant malheureusement parler de ceux qui ont échappé au cursus normal dans les écoles placées sous l’obédience de l’Éducation Nationale. Ils sont allés dans d’autres écoles abandonnées à elles-mêmes. On préfère, dans les milieux distingués, n’en parler qu’à voix basse et en se cachant des enfants. Deux grandes écoles rivalisent de séduction : l’École du Vice et l’École du Crime. Nous n’insisterons pas trop, ne les connaissant que par ouï dire ou par des lectures peu édifiantes : Détective, Pagan, Ashmet, Ellroy, les chroniques judiciaires, les séries policières.

Le recrutement de l’École du Vice fait suite à de mauvaises rencontres, des fréquentations douteuses, des influences néfastes, des habitudes désastreuses, des exemples à ne pas suivre. Les débouchés sont limités et offrent peu d’avenir. Diplômés et recalés se retrouvent rue St Denis, dans une contre-allée du Bois de Boulogne ou dans un peep-show minable. Ils font commerce du peu qu’ils ont. N’intéressant ni les inspecteurs ni les médecins du travail, ils échappent aussi à son code. Ignorés par la Sécurité sociale et les prud’hommes, il n’y a que la brigade des mœurs qui connaisse leurs problèmes. Malgré l’humanité et la délicatesse du personnel d’intervention, son savoir-faire, l’habitude de gérer les cas difficiles, elle peine à sortir ces malheureuses et malheureux de leurs trottoirs et leur faire retrouver une vertu, eux qui ne savent pas qu’elle existe.

L’autre École, à peine plus ou moins terrible, est celle du Crime. On n’y entre généralement pas par accident. Les dispositions requises se manifestent souvent de bonne heure et, comme pour Polytechnique, l’hérédité joue son rôle. Un père, un oncle, un grand frère dans le business montrent la voie. Une attirance pour l’École Buissonnière les jours de composition, des incivilités envers la prof d’histoire géo ou la vieille dame au sac à main un peu lourd sont des symptômes qui sentent la vocation pour le mal.

Un passage par un centre fermé, avatar moderne de la maison de correction, permet un apprentissage rapide de tout ce qu’il ne faut pas faire pour rester honnête. Le parcours est ensuite balisé et il n’y a plus de surprise à craindre en dehors du flagrant délit. Pris en main par les caïds du quartier, puis du milieu, l’étudiant même peu doué grimpe rapidement les échelons du crime, se spécialise selon ses aptitudes. Il fera l’homme toutes mains, apte aux mauvais coups ou intégrera les équipes en charge du grand banditisme : attaque de fourgons blindés au bazooka, pillage des banques, séquestration, contrefaçon, import/export en franchise douanière, traite de blanches, jaunes, noires. Le commerce est prospère mais fatigant et souvent tuant tant la pression et la répression sont grandes. Les bonnes volontés, les fines gâchettes sont très demandées, le chômage inexistant même chez les tueurs à gages. Les longues carrières sont exceptionnelles car le métier est encore plus risqué que celui de cascadeur. Accidents de voiture, bavures policières, règlements de comptes, concurrence sauvage, épidémies de grippe font que la fin de vie se passe rarement au calme, dans un site protégé comme dans une ancienne forteresse de Vauban, en bord de mer, à St Martin de Ré, par exemple.

Cette École du Vice a une contrepartie heureuse : l’École de la Magistrature. Quoique décriée par sa formation, son recrutement, ses performances, elle occupe quelques inaptes aux fonctions juridiques mais tout à fait suffisants pour les fonctions judiciaires.

L’École est donc un lieu où la vie se décide. Elle l’oriente, la fait heureuse ou malheureuse, paisible ou dangereuse. Choisir sa bonne École c’est comme être né sous une bonne étoile. C’est une chance qu’il faut saisir, cramponner et ne plus lâcher tant que l’on n’est pas devenu maître de soi-même.

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26/04/2013
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