Dico Sans Queue ni Tête

M COMME MARTEAU

J’ai une petite faiblesse, fruit d’une grande tendresse : j’aime les marteaux, je les collectionne, mon atelier en déborde. C’est plus fort que moi, excusez-moi si vous le pouvez, si vous êtes croyant, priez pour moi.

Donc, j’aime le marteau pour l’esthétique, la fonction, la beauté du geste, l’élégance du tracé dans l’air, l’explosion terminale, l’enfoncement du clou, la solidité de la liaison, le contentement du travail quand il est bien fait, le repos du marteleur et sa rêverie songeuse à d’autres travaux d’Hercule.

Je ne vais pas vous énumérer toute ma panoplie de marteaux. Elle vous impressionnerait. Pour vous rendre jaloux, je citerai quelques uns de mes marteaux vedettes.

D’abord quelques marteaux d’armes montent la garde en sentinelle, pour me défendre. J’en ai des variétés que l’armée française songe à remettre dans ses arsenaux pour les corps-à-corps futurs : marteau-picois, bec-de-faucon, bec-de-corbin.

J’ai un beau marteau-piqueur que je laisse au repos, trop bruyant.

Je passerai aux plus courants sans les décrire car ils valent le déplacement : à palisser, à emboutir, à suager, à rentrer, à dresser, à frapper devant (je recherche le modèle à frapper derrière), à charbon, de paveur, de tanneur, de ciseleur, de vitrier, de parqueteur, de galochier, d’horloger, à boudin, à grain d’orge, à pioche, à panne, en long, à 2 haches. Les autres vous intéresseront moins.

Je veux surtout vous parler du marteau à planter les clous et de celui à enfoncer les pointes.

Je ne sais pas résister à la tentation. Quand j’ai un bon marteau dans la main droite (je m’excuse auprès des gauchers pour cette infidélité à une fraction de la population qui ne mérite pas le rejet encore trop fréquent que la portion dominante lui manifeste malgré les campagnes d’explication, pourtant claires) et dans la senestre un clou bien propre ou une pointe accorte, je me mets à  frapper l’un sur l’autre, frapper, frapper avec une frénésie telle que vous ne me reconnaîtriez pas, moi le paisible, le pacifique, le lymphatique, l’endormi. Moi-même, j’ai du mal à me reconstruire après une telle sortie de gonds.

Pourquoi tant de haine, me direz-vous encore abasourdi par le bruit. Je l’avoue à ma grande honte : « je ne sais pas ».

L’aveu est terrible et révèle les abîmes dans lesquels le genre humain peut tomber quand il se met martel en tête pour pas grand-chose.

En fait, si je sais et je mens comme un ami, arracheur de dents qui sait tromper son monde, davier en main, c’est la faute à une pointe, celle à tête d’homme. Autant la semence du tapissier, un clou de cordonnier, à parquer, à penture, à crochet, à bateau, à maugère, à soufflet, à enclouer me laissent indifférent, autant une pointe à tête d’homme me donne envie de taper dessus. S’il s’agit, en plus, de celle d’un énarque, d’un curé, d’un rabbin, d’un imam, d’un pasteur, d’un faux-fuyant, d’un avocat marron, d’un politicien véreux, d’un militaire parjure, d’un banquier corrompu, je ne me contrôle plus, je redouble, je perds les pédales dit mon épouse effarée et qui tente de me sortir le marteau de la tête.

Elle réussit à me calmer avec un gigot de 7 heures, un pain qui croustille, une tarte ad hoc et je m’en distrais avec les semences, en labourant le terrain, derrière la charrue en criant hue, cocotte !

En réalité, le frapper de marteau n’est pas un exercice de style comme certains vont le croire, c’est une catharsis, un lâcher de ballons, un envol de pigeons, un lancer de nains. Ça libère, délivre, détend, compense, décompresse. Je vous le recommande et, cerise sur le gâteau, le faux mouvement, la distraction, la frappe à côté, sur le bout du doigt, l’explosion de douleur, la bordée d’injures, son lyrisme, sa richesse, le son aigu puis grave, aigu puis grave, la trépidation pédestre, l’oubli de tout, enfin seul, attentif à son petit doigt, reconnu à sa vraie valeur lui, le délaissé, l’exploité. Je vous le dis car vous le pensez pas, le coup de marteau est un bon coup, à user sans modération mais avec précaution car l’abus de coups de marteau sur le pouce ou l’index, peut finir par leur être préjudiciable.

_________



02/06/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour