Dico Sans Queue ni Tête

M COMME MISE AU POINT

Compte tenu des derniers développements de l’affaire, une mise au point s’impose.

Auparavant, il faut en finir avec le problème controversé de la mise au point. Le scandale qui a provoqué le tollé général dont la presse a rendu compte avec un luxe de détails qui a obscurci un peu plus le débat, a éclaté, vous vous en rappelez, après une mise au point bâclée qui n’avait en rien éclairci une situation déjà embrouillée au point qu’il était parfaitement impossible de démêler le vrai du faux, le comble quand on se souvient qu’à son début l’affaire était simple et qu’il n’y avait qu’à faire surgir la vérité d’un tissu de mensonges éhontés comme s’en souvient l’un des malheureux héros de cette triste histoire. À peu près à la même époque, et comme un fait exprès, deux ou trois mises au point catastrophiques avaient révélé qu’il ne s’agissait pas d’un fait isolé. Si on n’y prenait pas garde, la mise au point était menacée de mort.

Il faut donc réagir avec la plus extrême fermeté contre cette manie en passe de devenir la règle.

La mise au point doit perdre son ambiguïté et retrouver ses lettres de noblesse. Le flou est entretenu, comme disaient les photographes avant l’instantané, par l’inquiétude que suscite la rumeur et qui fait croire que le doute cache une vérité bonne à cacher.

Il est temps d’en finir avec des mises au point du genre de celle lue dans le bulletin municipal : « Mademoiselle T., habitant le territoire communal s’insurge contre la rumeur répandue par madame M., épouse en secondes noces du boulanger de la rue Nationale à son angle avec la rue Principale et qui colporte les propos qu’elle aurait tenus lors de sa confession pascale ». La fermeté apparente de la désapprobation véhémente pouvait, en première lecture, ne laisser planer aucun doute sur la volonté farouche de mademoiselle T. de couper court aux allégations désobligeantes répandues sur la voie publique par une paroissienne indiscrète à l’ouïe fine, quant à la nature des relations entretenues, le samedi soir, après le conseil municipale entre mademoiselle T. et le premier adjoint du maire. Un esprit raisonnablement critique ne pouvait manquer de déceler dans cette mise au point une faiblesse dans la force de conviction qui venait malheureusement enlever à l’affirmation négative sa crédibilité. La faute en est simplement à l’emploi inadéquat du verbe « s’insurge ». Elle eut dû plutôt « démentir ». Ce verbe rend la dénégation sans ambages alors que « insurge » renvoie à un haut-le-cœur qui peut être expressif mais jamais définitif. Il n’eut pas ici l’effet recherché. On peut interpréter le choix comme la traduction - inconsciente - de la volonté de rétablir la liaison entretenue entre les deux adultes consentants à sa dimension véritable : celle d’une amitié fraternelle entre deux cruciverbistes passionnés plutôt que de laisser fructifier la rumeur d’une passion torride entre une vieille fille encore envoûtante et un jeune grand père peu pressé de rentrer au domicile conjugal. Ce genre de mise au point ne clôt rien et surtout pas la polémique dont on ne sait jusqu’où elle va aller, Jugez-en :

Les 553 habitants du bourg prirent partie pour l'une ou l'autre, La cité - assez médiévale - se divisa en deux clans qui se révélèrent au troisième jour farouchement opposés. Une guerre froide sévit les 4ème et 5ème jours, puis s'échauffa le sixième jour. Une courte phase d’injures et d’incivilités précéda les échauffourées qui débutèrent, à la sortie de l'école primaire, par un crêpage de chignon, les pères s'en mêlèrent et, malgré l'appel au calme d'un curé de passage, le terrain de pétanque devint un champ de bataille. Maniées par des bras exercés, les boules de pétanques s'avèrent des armes lourdes. Au 8ème jour, l'artillerie avait transformé les rues en avenues de Stalingrad. Une escouade de CRS renforcée d’un escadron du GIGN réussit à grande peine à rétablir un ordre précaire. Les rescapés ne reconnaissaient pas leur paisible village.

Vous avez compris pourquoi une mise au point ne s'improvise pas. Chaque mot doit être choisi en s'entourant des garanties de la grammaire et d'un dictionnaire au-dessus de tout soupçon. Déjà reconnu comme un répondeur aux questions exceptionnel, je me targue d'être un metteur au point redoutable. Les raisons sont simples. Concises, claires, irréfutables, elles ne laissent rien dans l'ombre. Seul un fin limier armé d'une expertise confirmée, doué d'une technique hors pair peut prétendre à une telle excellence, étant entendu que tout orgueil déplacé et fausse modestie mal venue ont été, d'emblée, éliminés.

Un exemple valant mieux qu'un discours, je me bornerai à vous livrer ma dernière mise au point. Le sujet était délicat, inextricable. Plusieurs confrères talentueux avaient renoncé, dégoûtés, épuisés.

La mise au point devait dégager les responsabilités ayant conduit des dirigeants d’une très belle entreprise au dépôt de bilan.

L'enquête préliminaire avait montré que le triumvirat directeur avait joué un double, voire un triple jeu. Elle ne pouvait pas ignorer la gravité de la situation avec disparition des fonds propres, perte des liquidités, transferts massifs de créances douteuses dans des comptes secrets de sociétés écrans. La société était, en fait, en cessation de paiement et ses banques habituellement prêteuses étaient, curieusement, toutes en faillite frauduleuse.

La mise au point devait servir à rassurer les petits actionnaires paniqués par l'effondrement de l'action en bourse et faciliter la tâche du syndic chargé de sauver ce qui restait des meubles.  La rumeur accusant les dirigeants actuels de bilans truqués, d'abus de biens sociaux, d'emplois fictifs, de détournements de fond, de chèques en blanc, de délits d'initiés, de harcèlement sexuel, de déclarations mensongères, de travail le dimanche était très en dessous de la vérité. La société était, depuis longtemps, aux mains d'escrocs notoires et soumise à un pillage dans les règles du milieu. La direction toute entière corrompue s'était alliée à un syndicat des maffias du crime organisé parmi les plus performantes, de celles fichées à Interpol. Le président-directeur général se prétendait polytechnicien grâce à une usurpation d'identité et de diplôme. En fait, il sortait de Centrale et était un capo chef, très peu honorable, serbo-croate, entouré de maffieux corses, bulgares, tchétchènes et calabro-siciliens. Après une décennie d'activisme forcené, cette équipe a fait rendre l'âme à un fleuron de l'industrie française, leader mondial dans son domaine de prédilection. Les caisses sont vides, les dirigeants en fuite, les usines délocalisées dans des pays inconnus. Il n’y a pas d'argent pour payer les 6 mois de salaire en retard des 300 000 ouvriers du groupe. La situation est grave, dramatique et, je le dis, parce que je n'ai pas peur des mots, désespérée. Vous connaissez les dessous de l'affaire. Dans ma mise au point, j'en faisais un résumé de quatre lignes : objectif, serein, implacable, lumineux. A sa lecture, il y eut des pleurs, des grincements de dents et un tonnerre d'applaudissements.

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10/04/2013
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