Dico Sans Queue ni Tête

P COMME PEUR, 3ème épisode

Rétablissons la vérité. La peur interne n’est pas une provocation délibérée du monde extérieur. Pas de bouc émissaire, de faux fuyants, des mauvaises excuses, s’il vous plaît. Le responsable est en chacun. Cette mise au point est importante pour la suite. Si on veut s’en débarrasser, le remède n’est pas à chercher chez le voisin. La mise en garde doit être permanente car toujours à l’affût, elle profite des moindres circonstances pour se manifester.

Je reviens sur les manifestations physiques qui accompagnent la peur ordinaire et dont on a déjà parlé. J’en avais oublié quelques gênantes. Il s’agit en général :

- d’une rougeur subite et envahissante du visage avec illumination du pavillon des deux oreilles ;

- d’une sudation imprévue et intempestive avec prédominance palmaire bilatérale ; elle peut prendre les dimensions d’une inondation avec obligation de changement des sous-vêtements et des gants et chaussettes si on en porte ;

- de palpitations sur fond de tachycardie (cette accélération du rythme cardiaque peut être dangereuse sur une coronaropathie mal contrôlée, parlez-en à votre médecin référent) ;

- d’une voix chevrotante. Elle se remarque peu en raison de l’aphonie fréquente, concomitante des borborygmes déplaisants pour l’entourage.

Ces réactions visibles et audibles sont peu sympathiques à celui les souffre. Elles reflètent le désordre intérieur.

Ce portrait flamboyant est, vous l’avez compris, celui du timide, victime de sa timidité. C’est de lui dont il va maintenant s’agir. Tout le reste n’a été en fait qu’un préambule dilatoire au sujet qui m’intéresse et que je ne savais pas comment introduire.

Le timide a du mal à rire de lui, c’est son plus grand défaut et j’aimerais l’en débarrasser. Un morticole restera, quoi qu’il fasse, un médicastre.

Le timide est la proie permanente d’une peur chronique toute bête et qui est celle des autres. Je vous avais mis la puce à l’oreille par une dénonciation brutale de la problématique qui se confronte au timide. Le sujet n’étant pas épuisé, il supportera un complément d’explication.

La fréquence de la timidité (10,5% de la population - avec une égalité dans la distribution selon le sexe - souffre d’une timidité légère n’entravant pas une vie sociale a minima ; 3% souffre d’une timidité paralysante et qui dégrade, dans des proportions que vous n’imaginez pas, la relation interhumaine au point de rendre l’intégration au tissu citoyen incertaine), sa pénibilité, transforment une existence, qui aurait dû se dérouler de la meilleure des façons, dans une allégresse bon enfant, et à la satisfaction générale. Ceci et cela me contraignent à un appesantissement sur ce délicat complexe. J’y mettrai une légèreté à laquelle ne vous a pas habitués le journal de 20 heures. Une longue expertise, enrichie d’une grande expérience me donne l’autorité nécessaire pour pouvoir en conter. Je ne parlerai donc que des vérités que je tiens de première main.

Le timide a peur des autres parce qu’il a peur de lui et de ses réactions quand, par hasard ou nécessité, il est en leur compagnie. Une précision avant de poursuivre ce très intéressant exposé. Je ne fais que reprendre les grandes lignes du rapport présenté au dernier Congrès International Incognito & Co. Tenu à huis clos, dans un endroit gardé secret, dans une salle obscure (la presse n’avait pas été admise) le silence était de qualité religieuse, l’accueil - réservé - avait été à la hauteur des espérances et mon discours compris puisque dans les 6 mois tous les membres présents avaient démissionné de leur club SOS timides et renvoyé leur carte barrée d’un « sans objet » particulièrement gratifiant. Je précise ce détail pour vous encourager à poursuivre votre lecture au cas où…

Classique, je débuterai par les origines de la tare, chapitre fastidieux, qui n’apprend pas grand-chose, la chose allant d’elle-même. J’enchaînerai sur la description de la forme commune, assez stéréotypée et terminerai avec la curation indispensable pour que vous soyez payé de retour. Elle n’est pas facile à présenter comme l’étant car il n’en est rien. Si, à un moment ou un autre, je dis le contraire c’est simplement pour changer ou par esprit de contradiction, je ne me rappelle pas l’humeur du moment.

Je poursuis la démonstration et vais essayer de ne pas être dérangé car il ne faut pas se tromper. Je disais que le timide n’aime pas ce qu’il est mais aussi ce qu’il croit être et ce qu’il croit que les autres croient qu’il est.

Sa détestation de lui-même va loin. Masochiste au degré oméga, il ne se contente pas du verbe être, il décline avec le même enthousiasme « paraître ». Désintéressé, le verbe « avoir » ne le concerne pas. Son propre désamour généralisé a une origine facile à identifier et des conséquences fâcheuses sur son opinion personnelle et le comportement qui en résulte.

Je synthétiserai son dilemme en un raccourci saisissant : forcé par la démographie mondiale à vivre dans la société de ses semblables, le timide ne s’y sent pas à l’aise car craignant tout de lui, il a peur de l’imposer aux autres et de se faire remarquer à son détriment. Vous me suivez ?

Le timide n’aime pas l’image qu’il voit dans le miroir. Il est, au choix, trop petit, trop grand, trop gros, trop maigre, le nez est de travers, trop long, trop court, en trompette, en corbin, les oreilles sont décollées ou trop aplaties, le front trop haut, trop bas, le menton en galoche, fuyant. Rien ne le fait ressembler à la vedette de ses rêves. Affligé d’une telle dégaine, comment ne pas disparaître derrière la colonne, le pilier, ne pas se cacher au fond de la classe, de la salle et surtout comment ne pas se faire remarquer, distinguer, interpeller, aller sur l’estrade, au tableau, remonter la travée, apparaître au grand jour, parler en public. Voilà la grande peur du timide, sa hantise, son cauchemar, son calvaire.

Il a peur du regard des autres car il croit qu’on le voit comme il se voit et va susciter sarcasmes, ricanements, mépris. Pour éviter ce pire, le mieux est de ne pas être vu pour éviter d’être mal vu.

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24/05/2013
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