Dico Sans Queue ni Tête

P COMME PEUR

La peur est un sentiment à sensation forte. Il travaille dans l’ultra, marche au super, fidèle comparse des mauvais moments. Des racontars qui ont la vie dure, disent que la peur est bonne conseillère ou, sentencieux, qu’elle n’évite pas le danger.

Interrogeant des gens peureux, je n’ai obtenu aucune confirmation. Si vous l’êtes et n’avez pas peur de témoigner, vous êtes les bienvenus.

La peur commence très tôt, à la naissance, semble-t-il. Pour avant, les témoignages ne sont pas probants. Probablement par peur de ce qui les attend de l’autre côté du col, certains retardent, autant qu’ils peuvent, leur entrée en scène. On parle, pudiquement, de retard à l’accouchement. D’autres freinent des quatre fers, se mettent de travers, arrivent par le siège. Des mieux avertis, plus expéditifs, déjà radicaux, préfèrent en finir et se mettent le cordon autour du cou. Ces récalcitrants sont facilement reconnaissables. À leur sortie, ils ont la couleur de leur peur bleue. Dans ces cas, le recours à la manière forte est souvent employé et ils sont expulsés manu militari, à la force du scalpel, façon César.

C’est le début de la peur des lendemains qui déchantent. Le nouveau-né a très vite confirmation des bonnes raisons de sa trouille. Excès d’inconforts en tout genre : lumière, bruit, froid, faim. Il regrette les 37° du liquide amniotique, où, en apesanteur, dans un silence ouaté, sans déchets, sans effort, on mangeait pour lui, on respirait pour lui. Dès que la mère cesse d’être porteuse, adieu à cet heureux temps. Il doit maintenant hurler, pleurer pour réussir à avoir moins faim, moins froid, moins chaud, et expliquer qu’il serait peut-être bon de changer les couches car le caca et le pipi, c’est pas bon pour la peau des fesses.

Dès qu’il verra plus clair, rien pour le rassurer. Il mesure la grandeur des périls qui l’attendent, tout en restant loin de la vérité. Il a raison d’avoir peur de tout, lui qui donne des peurs froides à tout le monde avec sa manie de mettre les doigts dans les prises de courant, d’avaler tout ce qu’il trouve dans l’armoire à pharmacie, les désherbants, le raticide, à se pencher à la fenêtre du 25ème étage, à tirer la queue du gros chien poilu de la voisine, à traverser la rue en courant. Ceux qui n’ont pas peur ne survivent pas longtemps et n’auront plus l’occasion, d’éprouver les terreurs infantiles. Vous les connaissez aussi bien que moi, inutile d’insister sur les mauvais souvenirs, soyons positifs, que diable !

Je saute quelques années pour arriver aux grandes et belles peurs qui ne vont plus vous quitter jusqu’à l’apothéose finale. Vous remarquerez qu’à cet instant de notre monologue, je passe au « vous », en sautant le « nous », m’étant moi-même débarrassé de presque toutes les peurs grâce à une méthode très efficace, que je vous recommanderai, une bonne raison pour continuer cette lecture qui, je le comprends, commence à vous faire peur. Soyez courageux. J’en étais à la peur terminale. J’en parlerai peu car on n’en sait pas plus. Malgré des recherches qui m’ont fait perdre un temps précieux, je n’ai trouvé aucun document de première main, à croire que le sujet n’intéresse personne. Les revenants, nombreux chez les bons auteurs, restent muets sur leur expérience, trop occupés, sans doute, à faire peur.

La litanie des peurs est un florilège qui fait plaisir à réciter pour se convaincre qu’il est urgent d’apprendre à les vaincre et pouvoir enfin, un jour, respirer en paix, sans appréhension, dans un état de relaxation complète en rapport avec une détente parfaite de tous les muscles, particulièrement des abdominaux car la peur au ventre est douloureuse.

La phrase est longue mais plus facile à dire qu’à faire, allez vous rétorquer sans peur d’être contredit et de mauvaise humeur car vous n’aimez pas que l’on parle de vos faiblesses.

Je débute par les peurs courantes :

La peur du lendemain

Elle est grave. Il y a la forme paralysante qui provoque l’inertie ou la galopante qui se manifeste par la fuite devant les responsabilités. Elle encourage l’absence de prise de décision pour ne pas avoir à en supporter les conséquences. Son inconvénient principal, mais qui n’est pas pour autant le majeur, est que celui qui en est frappé ne prépare pas ses arrières. Napoléon, lui, à sa grande époque, avait su la dompter en conjurant celle de perdre en ayant toujours un plan de contre-attaque qui lui faisait gagner la guerre en cas de défaite première.

La peur du vide

Elle n’atteint qu’une population limitée aux laveurs de vitres du quartier de la Défense ou les alpinistes chevronnés lors d’un passage à l’étrier en surplomb d’un vide vertigineux de 2.000 mètres, dans une roche friable, par – 40° C, au milieu d’un couloir d’avalanche et quand souffle un vent frisquet. C’est une peur consentie, acceptée, recherchée chez un masochiste endurci et elle est, heureusement pour lui, généralement aussi courte que sa vie.

La peur de l’inconnu

Par tradition, elle était réservée aux voyageurs qui partaient pour des pays lointains. Avec le prodigieux développement des guides touristiques, l’inconnu est maintenant connu dans ses moindres détails avec le prix de la baguette de pain, les horaires des bus, la date des cyclones et le téléphone local de Mondial Assistance.

La peur de l’inconnu persiste, de nous jours, sous une forme atténuée et pour un court instant seulement chez la demoiselle de bonne famille avant d’accepter d’un étranger – parfait - un rendez-vous impromptu pour une conversation animée et plus si affinité. C’est une peur qui mériterait d’être réactivée car elle peut être une sage précaution contre de mauvaises surprises.

La peur du qu’en dira-t-on

Elle traduit le rejet d’une déviance par rapport à un consensus social établi sur la base d’un conformisme étroit qui résulte d’une obéissance séculaire à un code rigoureux imposé par une hiérarchie des valeurs régulée par un droit canonique pondu par des sectateurs d’une secte de juristes fanatiques d’un pouvoir absolu aux mains d’une clique d’irresponsables se croyant patentés par une puissance étrangère n’existant que dans la cervelle d’hallucinés illuminés.

La peur des autres

Elle mérite un développement car beaucoup de micro peurs en sont des sous-produits tenaces. Elle est difficile à éviter sauf à se faire ermite, navigateur solitaire ou président d’une république (à une certaine hauteur, on ne les voit plus). Elle appartient aux peurs primordiales. Elle est intéressante car parfaitement curable, sans trop d’efforts. Basée sur le sentiment imbécile d’être inférieur au regard des autres si intelligents, si beaux, si riches, si sûrs et certains, si ceci, si cela… Il y a beaucoup à en dire car tous les timides sont atteints de cette peur idiote qui disparaît très vite dès qu’on en a compris la pauvre raison.

Ces dérives sont, dans le désordre :

-       la peur de trop en dire ou de ne pas savoir quoi dire ;

-       la peur de déplaire, d’être en retard, de ne pas être à la hauteur.

Vous compléterez la liste de ces peurs mémorables à votre convenance. Pour la mienne, je rajoute :

La peur du ridicule

On l’évite en n’y prenant pas garde.

La peur des souris

On s’en protège en se promenant avec un chat en laisse que l’on a pris soin de faire jeûner pendant deux jours.

La peur des araignées et des chauves-souris

Il faut se rappeler que les espèces dangereuses (la mygale mangeuse d’hommes et la chauve-souris enragée en forme de vampire assoiffé de sang ne vivent qu’en Amazonie tropicale. La disparition prochaine de cette selve inhospitalière grâce à la culture intensive de la canne à sucre, du tapioca et de la cacahuète éliminera cette menace préoccupante.

La peur de manquer

Il faudra faire avec car les disponibilités financières vont, de plus en plus, être inférieures aux besoins supposés. Les prédictions macroéconomiques sont confirmées au niveau micro-économique du porte-monnaie. La tendance générale gagne du terrain d’une façon inquiétante et cela au détriment, comme il fallait s’y attendre, des plus démunis.

La peur est, pour le tout venant, heureusement anecdotique. Il se fait une belle peur qui lui donne des sueurs froides de temps en temps. Dans les entre-deux, il n’y pense plus ou se contente de faire peur s’il est un tantinet méchant. Vous ne l’êtes pas et reposez en paix comme vous l’êtes en attendant de pied ferme, la prochaine dès qu’elle sera en ordre de marche. Je le dis en mémoire d’Attila, un grand spécialiste qui aimait y faire. Il entraînait ses cavaliers à être bien en selle avant de les lancer dans des invasions barbares qui semaient une peur à l’échelle de la terreur dans toute la contrée quand ils la traversaient au grand galop de leurs petits chevaux. Sa dernière expédition lointaine fut pour lui la dernière grande peur qu’il mit à son palmarès et le reste du monde retrouva une joie de vivre sans craindre le massacre au petit matin blême. Ils purent se consacrer à frémir en pensant aux joyeusetés d’une éternité passée dans la fournaise d’un enfer livré aux exactions d’une clique satanique à longue queue, au regard ardent et aux fourches caudines pointues dont ils faisaient un usage intensif particulièrement douloureux sur une brûlure au 3ème degré. Mais cette peur était sanctifiée par la promesse d’un paradis avec air conditionné, immunité totale. Elle remplissait les offices religieux d’une foule compacte qui luttait ainsi, au coude à coude, contre les rigueurs des hivers qui n’avaient rien à voir avec ceux que l’on a aujourd’hui (12°C sous abri un 21 janvier, on n’a jamais vu ça).

Je vais finir par croire pour de vrai (je le préfère, pour sa rusticité à « effectivement » qui a perdu, par suremploi, toute sa force) que la peur est mauvaise conseillère car le paragraphe précédent était mal venu, témoignant d’une culture historique nourrie de préjugés, de sectarisme, d’une connaissance mal comprise – sur fond de racisme – de l’épopée vertigineuse de ce génial conquérant des steppes que fut le grand Attila, ce méconnu, cet incompris, ce calomnié. Je m’en excuse auprès de ses héritiers.

L’esprit plus tranquille, je vais rattraper le temps perdu en faisant une énumération rapide des quelques peurs qui succédèrent à celle qui, auraient prétendu des livres d’histoire, envahit l’Europe jusqu’au 23 juin 451 où, dans les champs catalauniques, il trouva sa roche tarpéienne. Elles sont plus crédibles et on a parlé de :

-       la grande peur de la peste ;

-       la grande peur de la lèpre ;

-       la grande peur de la tuberculose (avant la découverte du rimifon et de la streptomycine) ;

-       la grande peur de la syphilis (avant la pénicilline) ;

-       la grande peur des virus, toujours actuelle ;

-       la grande peur du changement.

A ces peurs chroniques, on ajoutera, pour être encyclopédique, celles des cyclones, des tremblements de terre, des raz de marée, des explosions atomiques civiles et militaires, la peur de la guerre, la peur de la paix apportée par les bombardiers, la peur des terroristes, la peur des contre-terroristes, etc.

Difficile d’y échapper car, dès que tout se calme, entrent en scène les spécialistes de la peur dont le métier est de ne pas faire oublier que le monde d’hier avait eu bien des raisons d’avoir peur et qu’il faudrait être fou pour ne pas s’alarmer aujourd’hui des peurs qui vont nous assaillir demain, compte tenu des catastrophes qui ne vont pas tarder à arriver, quoi qu’on fasse.

N’y pouvant rien, prenons en bonne note et perdons-là.

Pour être équilibré, il ne faut pas seulement parler de ceux qui ont peur de tout, mais de ceux qui n’ont peur de rien.

Certains appartiennent à l’histoire :

- Jean sans peur était un lascar de cette trempe (1371-1419) en digne fils de Philippe le Hardi. Pas très recommandable, tenace, sans scrupule, il finit mal, assassiné sur le pont de Montereau. Un exemple à ne pas suivre ;

- Bayard, au contraire était non seulement sans peur mais aussi sans reproche et sa vie une succession de combats héroïques. A son dernier moment, il sut encore dire : « Je n’ai jamais montré le dos à l’ennemi, je ne veux pas commencer au moment de mourir ». Ce brave et bon est l’archétype du chevalier et exemplaire pour le soldat et le pékin ;

- Encore plus brave, meilleure et venant de plus loin, Jeanne d’Arc fait rêver peureux et peureuses. Elle n’avait pas froid aux yeux, la Pucelle, une pâtresse de moutons du côté de Domremy devait, à cette époque, n’avoir pas peur des loups qui rodaient dans les campagnes avec une faim dévorante. Entendre une voix qui venait de nulle part et lui commande d’aller bouter les anglais ne l’effraya pas davantage et elle ne courut pas se précipiter dans les jupes de sa nourrice. Vous connaissez la suite et même Bayard eût peiné à la suivre. Non seulement elle boute comme prévu mais elle fait le siège du roi, le remet dessus, enlève les villes (les villages ne comptent pas), elle repousse les frontières de France et de la vaillance. La fin fut triste comme souvent dans l’histoire de France, rappelez-vous Henri IV, Louis XIV, Louis XVI, Napoléon le Grand à Ste Hélène, le petit à Sedan, Pétain, toutes nos républiques, la 5ème inquiète avec une énarchie qui prépare l’anarchie. La grande Jeanne n’eut peur ni des traîtres, ni des juges, ni de l’évêque, ni des bourreaux, ni du bûcher, stoïque, héroïque, grandiose. Elle fait honte à la peur.

La peur a un impact physiologique et sa puissance de frappe est proportionnelle à son intensité. Toutes les nuances sont possibles entre la panique, la forme majeure qui soit sidère, soit fait partir au triple galop et la vague crainte d’un refroidissement de 1 degré du thermomètre sous abri. Elle ne provoque aucune accélération du cœur ni hérissement du poil et la chair de poule est due au froid. Selon l’étiage de la peur, en allant d’une peur contrôlée à une belle peur on aura, selon la force de caractère et son autocontrôle la voix qui s’étrangle, les jambes qui flageolent, le cœur qui bat la chamade, le corps qui frémit, les mains qui tremblent. On y reviendra si j’ai encore des forces.

La peur est dite viscérale quand elle anesthésie le cerveau qui passe en mode réflexe élémentaire. C’est une mesure de sauvegarde : elle mobilise l’énergie à la défense du principal, la perte d’un membre étant finalement moins grave que celle de la tête.

(à suivre)

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16/05/2013
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